communiqué de presse
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Rarement loi prétendument sans intérêt aura suscité autant de passion que le projet «visant à réprimer la contestation des génocides reconnus par la loi». La majorité de nos concitoyens qui ne se sent pas concernée par ce débat peut légitimement se demander pourquoi. Rappelons que quatre génocides sont internationalement reconnus : le génocide des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915-1916, le génocide des Juifs par le régime nazi au cours de la Seconde guerre mondiale, le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994 et le génocide de Bosniaques par les Serbes à Srebrenica en 2001.
La France, pour ce qui la concerne, ne reconnaît juridiquement que les deux premiers. La négation de la Shoah étant déjà réprimée par la loi du 30 juillet 1990, dite loi Gayssot, chacun aura compris que le projet de loi actuellement en débat vise à réprimer la contestation du génocide arménien. La France a reconnu la réalité de ce génocide par une loi du 29 janvier 2001, de sorte qu’il n’est pas possible de revenir sur le principe de cette reconnaissance, nonobstant l’insistance de ceux qui persistent à s’y employer.
Il convient de distinguer ceux qui contestent la réalité du génocide de ceux qui sont opposés à la loi. Si tous les premiers sont contre la loi, tous les seconds ne sont pas négationnistes.
La contestation de la réalité du génocide arménien est essentiellement le fait de la Turquie, au nom d’un nationalisme qui peut surprendre à l’heure où elle frappe de façon pressante et à bien des égards légitime à la porte de l’Europe. Pourquoi, un siècle après les faits, la Turquie s’obstine-t-elle à refuser de se tourner sur son histoire, au point de considérer comme des ennemis tous ceux, y compris les Etats, qui n’acceptent pas ce négationnisme ? On comprend que les Arméniens ne puissent tourner la page tant que justice n’aura pas été rendue à leurs aïeux. Mais les Turcs… En quoi peuvent-ils se sentir solidaires des crimes commis par l’Empire ottoman ? Bien des nations, à commencer par la nôtre, sont parvenues à se réconcilier avec leur passé. Les
jeunes Français n’ont aucun problème à reconnaître les crimes du régime de Vichy. Les jeunes Allemands n’ont aucun problème à reconnaître les horreurs du nazisme. Pourquoi en est-il autrement des jeunes Turcs ? Des voix dissonantes commencent à s’élever au sein de la nation turque, mais la route sera encore longue avant qu’on entende à Istanbul l’équivalent du discours au Vel-d’Hiv en 1995 de Jacques Chirac dénonçant «ces heures noires (qui) souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et a nos traditions».
Les motivations de ceux qui s’opposent à la loi sans nier l’histoire reprennent, pour l’essentiel, les critiques émises en son temps contre la loi Gayssot. Ils dénoncent ce qu’ils appellent les «lois mémorielles», concept qui relève davantage de la rhétorique que du droit. La loi, en France, est ordinaire ou organique, parlementaire ou référendaire, pas déclarative ou mémorielle. Reconnaître la réalité du génocide arménien ou déclarer que la traite négrière et l’esclavage sont des crimes contre l’humanité (1) ne ressort pas de la loi. En réprimer la contestation si. A quoi servirait d’ailleurs une loi «déclarative» que chacun pourrait violer sans encourir de sanction ? Il ne s’agit pas de donner compétence au Parlement pour dire l’histoire, mais de
donner aux juges les moyens de dire le droit. Nous disposons aujourd’hui du recul de plus de vingt ans d’application de la loi Gayssot. Depuis son adoption, pas un historien n’a été empêché de faire son travail. Toutes les personnes condamnées pour négationnisme l’ont été en raison de leur mobile antisémite, pas pour leurs travaux historiques. Aucun d’eux n’est d’ailleurs historien. La loi Gayssot a été adoptée pour lutter contre l’antisémitisme qui se dissimule derrière la négation du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, pas pour réécrire l’histoire. Il ne peut évidemment qu’en être de même pour la négation du génocide arménien. Les opposants à la loi font valoir que ce génocide n’a pas été perpé
tré en France. En quoi cela autoriserait-il sa négation ? Le génocide est un crime contre l’humanité dont la mémoire n’appartient pas à telle ou telle communauté mais à l’humanité tout entière. Certains considèrent que la loi serait inutile au motif que le génocide arménien ne serait pas contesté en France. C’est faux. Il suffit pour s’en convaincre de lire et entendre les références au «prétendu génocide» auquel donne lieu le débat actuel. Qu’y a-t-il d’ailleurs à craindre d’une loi qui ne serait pas utile ? Tout au plus ne trouverait-elle pas a s’appliquer, ce dont chacun ne pourrait que se féliciter. Il ne peut dans cette affaire être davantage question de céder aux oukases turcs qu’au lobby des associations arméniennes.
Ce n’est ni contre les Turcs ni pour les Arméniens que la loi doit être votée. «Une chose n’est pas juste parce qu’elle est la loi mais elle doit être la loi parce qu’elle est juste», écrivait Montesquieu. Telle est la seule question que doit se poser le législateur.
(1) Loi Taubira du 31 avril 2001
Alain JAKUBOWICZ
Tribune du Président de la Licra dans Libération: Les lois mémorielles n’existent pas
mercredi 25 janvier 2012